« Ce sont eux qui m’ont abandonné !
Artiste zouglou connu pour l’originalité de ses compositions musicales, Lago Paulin a une vie artistique qui rime avec celle du zouglou. Pour marquer son 26e anniversaire de carrière l’artiste prévoit un nouvel album et un grand spectacle. Mais, avant, le zouglouman avait des choses à dire. Nous l’avons rencontré. Et il a parlé…
Depuis 2008, on ne te voit plus dans les bacs. Pourquoi ce long silence ?
Je suis en pleine préparation de mon prochain album. Je prends le temps afin de proposer aux mélomanes une œuvre assez propre et potable. Il ne faut pas se précipiter pour produire n’importe quoi. Parce que quand on est chanteur de zouglou, il faut beaucoup travailler avant de sortir un album de qualité pour nos mélomanes. Nous sommes une identité dans le phénomène zouglou. Donc, quand on sort quelque chose, il faut que ce soit quelque chose de potable. C’est pour cela que j’ai mis tout ce temps.
Et que comptes-tu proposer de potable à tes fans ?
Je suis en studio et les choses avancent bien. Et l’album “L’histoire” pourra sortir le mois prochain. Dans tous les cas, ils seront satisfaits. Parce que ce sera en prélude à mon concert, qui marquera mes 26 ans de carrière.
De quoi parle “L’histoire” ?
Tu sais, Lago Paulin chante toujours en code. Donc, je dis : ‘’Dans ton histoire, la personne qui était avec toi pendant tes moments difficiles, aujourd’hui que tu es devenu une personnalité, tu n’es plus avec cette personne. Dans la vie, il faut manger avec ceux qui ont souffert avec toi. Il ne faut pas manger avec ceux qui viennent dans ton succès’’. Je n’indexe personne. Je chante en parabole. J’ai toujours chanté ainsi. Et si quelqu’un se sent concerné, c’est donc de lui que je parle.
Dans la tradition africaine, on utilise les paraboles pour dire de manière voilée des vérités à quelqu’un de précis…
Moi, je parle d’une situation précise que je vis. Parce qu’aujourd’hui qu’ils sont arrivés, j’ai comme l’impression qu’ils connaissent leurs chanteurs, qu’ils connaissent leurs artistes. Alors que, quand ils étaient dans la souffrance, il y avait des artistes qui étaient à leurs cotés…
A qui fais-tu allusion à travers le « Ils » ?
Tu sais que je parle toujours en parabole. Je ne dirai jamais le nom. Quand ils souffraient dans le temps, il y avait des artistes qui étaient toujours avec eux. Aujourd’hui, ils connaissent leurs artistes parce qu’ils ont l’argent. Ce n’est pas bon ! « On dit dans la vie, la personne qui soufre avec toi, c’est avec cette personne qu’il faut partager les idées. Parce qu’aujourd’hui tu as de l’argent, tu as de nouveaux amis. Demain quand tu n’auras plus d’argent, est-ce que les nouveaux amis que tu as eus toujours avec toi ? C’est toujours tes anciens amis qui seront avec toi. » Voici l’idée du titre “L’histoire”.
Tu regrettes donc d’avoir été aux côtés de ces personnes dans les moments difficiles ?
Non, je ne regrette rien. Moi, j’ai cru que notre relation irait bon train. Mais ce sont eux qui m’ont abandonné. Et moi je les regarde.
Pourquoi t’ont-ils abandonné ?
Je ne sais pas ! Peut-être que je ne réponds plus à leurs critères, ou peut-être qu’ils ont peur de moi, ou encore, peut-être qu’ils n’ont plus besoin de moi. Ils se disent : ‘’c’est une gangrène, qu’on le laisse là où il est !’’
N’est-ce pas ton engagement dans tes textes qui a provoqué cette situation ?
Non, ce n’est pas mon engagement. Tu sais en Afrique, on n’aime pas ceux qui disent la vérité. C’est pourquoi aujourd’hui, moi je suis dans mon coin et je les regarde. Mais étant artiste, on est la voix des sans voix. Alors, quand tu fais quelque chose qui n’est pas bon, on doit te le dire. On ne doit pas le voiler. Et cela va se faire sentir dans mes prochains albums.
Lago Paulin, réellement, c’est combien d’années de carrière ?
J’ai 26 ans de carrière. J’ai le même âge que le zouglou (Rire).
Et quel est ton bilan à ce niveau de ta carrière ?
Le bilan est positif. Certes, je ne suis pas encore connu sur le plan international, mais qu’on le veuille ou pas, je suis une icône de la musique zouglou et de la musique ivoirienne. Parce que j’ai reçu plusieurs prix en Côte d’Ivoire, j’ai été décoré récemment par le Président de la république. Et j’ai reçu le Summum du Burida, du meilleur artiste de variété. J’ai aussi participé à plusieurs festivals. Donc, je pense que mon bilan est positif. Parce que depuis ma première œuvre jusqu’aujourd’hui, les ivoiriens m’aiment.
Tu as combien d’œuvres su le marché ?
J’ai 9 albums à mon actif. Et il s’agit de 9 albums, 9 succès. Je n’ai jamais fait un album qui n’a pas eu de succès. Et présentement, je suis en train de préparer la sortie du 10e album.
Comment comptes-tu célébrer ton 26e anniversaire de carrière ?
Par un grand concert live qui aura lieu le 07 mai 2016, au Palais de la culture. Il faut dire que j’ai commencé le zouglou en 1989. Donc, c’est toute cette génération de zougloumen qui va défiler sur la scène. On doit nous décorer. Parce que je chante depuis 1989 jusqu’à ce jour, et je suis dans la nouvelle tendance avec les jeunes artistes. Mais les gens créent des cérémonies fictives en Côte d’Ivoire, où ils font du copinage, où ils nominent leurs amis. Et ils se sentent mieux dans ça !
Tu veux parler des “Zouglou Music Awards” ?
C’est n’importe quoi ! C’est du pipo !
Tu n’a pas été nomine à cette cérémonie…
Est-ce qu’on me considère ? Les gars ont fait leur business pour avoir l’argent. Sinon, on ne me considère jamais dans ce genre de cérémonie.
Tu dis être une icône de la musique en Côte d’Ivoire et pourtant, tu n’as même pas été nominé à la récompense des meilleurs artistes zouglou…
Oui, mais je l’ai toujours dit, les gens font du copinage en Côte d’Ivoire ici. C’est du pipo ! Dites-nous plutôt que le sponsor fait une cérémonie, pour récompenser ses partenaires. Ne nous dites pas que c’est les Awards du zouglou ! Ne touche pas au zouglou qui veut ! Tu n’as pas crée le zouglou. Le zouglou a été crée par Joe Christy, Christian Gogoua, et Wakouboué Médard. Le zouglou n’a pas été crée par cette génération qui organise les Awards du zouglou. Des gens qui n’ont pas crée le zouglou, en profite aujourd’hui. C’est les You Faser, Roger Capri, Christian Gogoua, Joe Christy et autre qui doivent organiser les Awards du zouglou. Parce qu’ils connaissent le zouglou. Mais toi, tu viens, tu es un parvenu et tu organise une telle cérémonie…
Qui est le parvenu ?
Ce sont ceux qui ont organisé les Awards du zouglou ! Qu’ils nous disent que c’est leur sponsor qui organise une cérémonie pour récompenser ses partenaires. Mais qu’ils ne nous disent pas qu’il s’agit des Awards du zouglou.
2015 marquait les 25 ans du zouglou. Mais aucune manifestation d’envergure n’a marqué ce quart de siècle…
Moi, je regardais les gens. Sinon, nous, nous avons organisé les 25 ans du zouglou à Yopougon chez “L’Italienne du zouglou”. C’est pour cela que je dis qu’il y a des gens qui sont dans le zouglou pour de l’argent. Ce n’est pas eux qui l’ont crée, donc ils s’en foutent. C’est les vrais mécènes qui organisaient des manifestations pour le zouglou. Je fais un coucou à Blé Goudé qui n’est pas là aujourd’hui. C’est donc pour dire que c’est ceux qui ne l’ont pas crée, qui s’amuse avec le zouglou. Sinon ceux qui l’ont crée, quand ils étaient là, ils organisaient des événements, tel que le FIZ (Festival international de zouglou, Ndlr). Mais aujourd’hui, ceux qui organisent ces cérémonies, ne sont pas de vrais mécènes du zouglou.
Après 26 ans de carrière tu n’as malheureusement pas encore explosé sur le plan international. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
C’est toi qui le dis ! Sinon moi, j’ai déjà explosé à l’international. C’est dans nos milieux africains et ivoiriens que tous ceux qui vont à l’international explosent. Sinon, aucun artiste ivoirien ne peut dire qu’il explose sur le plan international, à part Magic System, Meiway, Alpha Blondy, Tiken Jah. Si moi, je vivais en France, à tous les coups, j’allais exploser sur le plan international. Nous, on est national. Je suis connu dans mon pays. Et c’est quand tu as du succès dans ton pays, que les producteurs européens viennent te chercher pour une carrière internationale.
On a appris que tu serais persona non grata à Paris, que tes affiches auraient été déchirées, que tu serais même menacé…
Non c’est faux ! Il y a quelques petites brebis galeuses qui ont essayé de décoller mes affiches, mais c’est rentré dans l’ordre. Et il n’y a aucun problème si je veux aller à Paris. La preuve, j’ai eu un visa depuis le 18 décembre dernier. Je ne suis pas encore allé, parce que le promoteur m’a dit d’attendre qu’il finisse de mettre tout sur pied pour mon arrivée. Il m’a donc dit de rester et de prendre mon mal en patience. Et que tout le mois de mars prochain, j’y serai pour une série de spectacles.
Si une maison une Major te demandait de modifier ta musique, pour une carrière internationale ?
Dans ce cas, je ne ferai jamais une carrière internationale ! Parce que ma culture bété de Daloa et d’Issia ne me permet pas de chanter comme les européens voudraient. On a vu Richard Bona qui chante en camerounais et qui est devenu international. Moi, je pense que je suis dans un rythme, et une structure internationale ne peut pas transformer ma manière de chanter. Jamais ! S’ils tiennent à le faire, c’est que je ne vais jamais devenir international. Je pense que c’est ce que je chante qui fait que toute la Côte d’Ivoire aime Lago Paulin.
Tu n’as pas l’impression que tes choix politiques ont un peu joué sur ta carrière ?
Non, la politique n’a pas joué sur ma carrière. Au contraire, la politique a boosté ma carrière. Si certaines personnes n’aiment pas Lago Paulin, d’autres l’aiment. Jésus même n’a pas fait l’unanimité. Donc, tu n’es pas obligé de m’aimer et moi non plus, je ne suis pas obligé de t’aimer. Et puis la vie continue !
Hervé Poosson
starmagplus