Ecoutez-l’audio ici
Explosif. Dans une émission accablante diffusée vendredi 4 décembre 2015 (Ecouter ici), les journalistes d’investigation de France Inter Antoine Giniaux et Benjamin Chauvin démontrent que malgré les dénonciations des experts de l’Onu, l’Etat ivoirien continue de cautionner et d’organiser l’exploitation illégale des richesses minières à travers un système mafieux à grande échelle qui remonte jusqu’à Alassane Dramane Ouattara.
Elle est dans les environs de Daloa. A 400 kilomètre d’Abidjan, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Pour y arriver, on doit quitter la ville puis s’éloigner de la route principale et traverser les plantations de cacao. Rapidement, la piste se transforme en chemin, et le chemin devient une rivière, boueuse. C’est la fin de la saison des pluies. Puis il faut près d’une heure et demie pour se rapprocher du campement des orpailleurs, en contournant le dispositif de sécurité.
La mine est une sorte de ravin gigantesque, un trou dans la terre rouge d’une dizaine de mètres de profondeur, sur près de cent mètres de long ; avec des tunnels, des machines, pour broyer les cailloux, et des mineurs qui remontent des échantillons de roche pour voir si des paillettes d’or sont emprisonnées à l’intérieur.
Un gramme d’or par jour payé dix-huit euros
Le mineur est au bord d’un trou, devant une petite bassine d’eau, et il est en train de rincer la poudre de roche qui est pilée juste à côté de nous : On pile ça ici… ! Q: Ça c’est les paillettes, ça c’est l’or ? Le mineur : Ouiiii… ça brille ! Tu vois bien que ça brille ! Q: Sur une journée, on peut sortir combien ? Le mineur : Sur une journée, tu peux gagner au moins dix ou douze mille francs cfa.
Ce qui équivaut à dix-huit euros : le prix payé aux mineurs en échange d’un gramme d’or. La mine 22 a été ouverte il y a 3 mois. Ici, un peu plus de 500 personnes travaillent en permanence. Certains sont Burkinabés, d’autres Ivoiriens. Serge tenait un magasin de moto dans la ville de Soubré, jusqu’en 2011. Il a tout perdu dans les affrontements entre les partisans de Laurent Gbagbo, et ceux d’Alassane Ouattara. Du coup, il a rejoint un groupe de mineurs. Leur production leur permet tout juste de survivre. : «En 2010, les événements ont fait que mon travail s’est gâté… Si on travaille beaucoup, par jour on peut faire six grammes, sept grammes. C’est pas beaucoup et on prend trop de risque pour ça. Y’a des gens ici ils ont bossé deux jours, ils n’ont rien trouvé, ils n’ont rien à manger…»
Pas assez de revenus et trop de risques
Dans les mines, les éboulements sont fréquents. Les galeries sont étayées, artisanalement, avec des troncs d’arbres. Parfois jusqu’à une profondeur de trente mètres. Et on aperçoit encore les traces, les fissures dans le sol, aux endroits où le sol s’est enfoncé.
Au final, un travail dangereux pour lequel les mineurs sont payés environ 200 euros par mois. Un salaire minuscule à l’échelle de la richesse produite car l’or est vendu 30€/gramme sur le marché international.
La mine 22, à elle toute seule, produit près de 40kg par mois lorsqu’elle tourne à son maximum, soit 1,2 million d’euros. Et il y a moins trois autres gisements, exploités clandestinement dans le secteur de Daloa. Donc le rendement est vraiment très important.
Mais alors qui empoche la différence ?
Pour le savoir, notre enquêteur est allé voir «les patrons», les responsables du bureau local d’achat de l’or. Des hommes sont installés sous une petite toile de tente, à proximité des tunnels, et récupèrent le métal précieux. Ils passent les pierres extraites du sol à la broyeuse, avant de filtrer la poussière pour récupérer les paillettes. Mais la discussion à peine entamée avec les «patrons», des militaires arrivent, le ton monte, et l’enquêteur est prié de quitter les lieux. Il tente alors de rentrer en contact avec les propriétaires des terrains sur lesquels se sont installés les mineurs.
Ces propriétaires sont les anciens paysans qui ont perdu leurs terres. Mais eux non plus ne touchent pas beaucoup d’argent. Leurs plantations ont été dévastées par les tranchées, les tunnels, et par le cyanure et les produits chimiques déversés dans le sol pour traiter les paillettes d’or. Ils sont très peu indemnisés : 250 francs cfa soit trente centimes d’euros par gramme d’or extrait du sol à peine un centième de la valeur du métal !
Mais ces propriétaires sont en contact avec les chefs des orpailleurs et pour eux, c’est très clair, ce trafic existe à l’échelle de l’Etat comme le raconte l’un d’entre eux : «Notre souhait est que l’Etat ivoirien comprenne. On ne gagne pas assez car c’est lui qui prend tout. La terre est détruite, on ne peut plus planter du cacao et ce sont des hectares qui sont détruits. L’Etat doit nous aider : on n’a plus rien à manger. L’Etat c’est un pouvoir, c’est une autorité. Si l’Etat veut, l’Etat peut.»
Un système mafieux à grande échelle
Si l’Etat peut décider de payer plus ou moins les propriétaires des terrains, d’augmenter leur part, c’est parce que le fonctionnement des mines n’est pas du tout aléatoire. On est face à un système mafieux à grande échelle. Un trafic clandestin mais totalement codifié avec un barème et des quotas. Tout le monde se partage le gâteau. Des militaires se trouvent à l’intérieur de la mine car l’armée touche un pourcentage sur la vente de l’or. Tout comme les membres de l’administration locale : le préfet, les responsables locaux. L’un des seuls à parler en détail de ce fonctionnement est le chef de la sécurité des mines de la région de Daloa, Adama Koné. Rendez-vous est pris avec lui à la sortie de la ville. Il est formel : il y a un barème fixe pour chacun et tout le monde touche de l’argent : «Ils ont une base et un bureau à Daloa, ce sont les militaires de l’Etat avec la gendarmerie. Chacun gagne. Si le sous-préfet ne gagne pas, on ne peut pas travailler ; si le préfet ne gagne pas on ne peut pas travailler. Si les militaires ne gagnent pas on ne peut pas travailler. Il y a un protocole d’accord écrit, ils ont signé.
Q : Si tout le monde est au courant, ça veut dire que l’Etat est au courant ?
R : Si le préfet, le sous-préfet bouffent, ça veut dire que l’Etat mange aussi.
Q : On peut dire qu’il y a des proches du pouvoir qui sont impliqués dans cette histoire-là ?
R : Ah mais si le préfet est impliqué, et les chefs de brigade, alors il faut savoir que chacun cherche à manger, c’est la vie
Un rapport interne de l’ONU qui dénonce
Ce système de corruption généralisé mis en place à la mine 22, a été dénoncé dans un rapport interne de l’ONU daté du 13 avril 2015 à propos d’une autre mine illégale, la mine de Gamina qui se trouve à quelques kilomètres, dans la forêt. Les experts qui travaillent sur la Côte d’Ivoire en détaillent le fonctionnement et mettent aussi directement en cause l’un des organisateurs du trafic d’or : un ancien chef rebelle, qui a combattu pour aider le président Ivoirien, Alassane Ouattara, à prendre le pouvoir en 2011. Son nom Issiaka Ouattara dit «Wattao».
Il ne fait pas partie de la famille présidentielle mais c’est un proche : l’un des anciens chefs des Frci, les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire, le bras armé d’Alassane Ouattara en 2011. Voici un extrait du rapport de l’ONU : «Les activités d’orpaillage illégal à Daloa […], permettent à l’ancien commandant de la zone, Issiaka Ouattara dit « Wattao », de maintenir une force armée de 500 hommes sous son commandement exclusif. L’activité dans ces mines soulève également des problèmes au regard du respect des droits de l’homme, qu’il s’agisse d’exploitation de la main-d’œuvre enfantine, de prostitution, d’exécutions extrajudiciaires ou de pollution chimique à grande échelle. Les commanditaires de l’exploitation d’or sont affiliés à quatre individus désignés localement sous le nom de VIP ou de parrains. L’un d’eux est Wattao lui-même. Les trois autres sont des personnages en vue du gouvernement ivoirien actuel, ou de l’ancien gouvernement burkinabé.»
Les rapports troubles du président Ouattara avec les trafiquants
Suite à ce rapport, Wattao a été obligé de prendre ses distances avec le trafic d’or. Désormais, sur le terrain autour des mines, le nom qui circule est celui d’un autre ancien commandant de zone : Morou Ouattara. Lui aussi a combattu pour installer le président Ouattara au pouvoir. Il travaillerait avec des burkinabés.
Une seule certitude, constatable sur place : les anciens combattants rebelles sont toujours là, notamment cette fameuse milice de 500 hommes dont parle le rapport de l’Onu. Le chef de la sécurité, Adama Koné, est l’un d’entre eux.
Et c’est l’une des raisons pour lesquelles le trafic se poursuit. Ces anciens rebelles continuent d’entretenir des rapports troubles avec leur ancien patron, le président Ivoirien Alassane Ouattara. «Il a une dette envers nous» affirment les anciens militaires rebelles. En effet, en arrivant au pouvoir, Alassane Ouattara a promis à tous ces combattants de les dédommager. Il en a intégré une partie dans l’armée, et la gendarmerie. Mais les autres attendent toujours leurs dus. Et ce trafic d’or est une manière de leur assurer des revenus.
Les réseaux sont restés les mêmes que durant le conflit, selon Fanny Pigeaud, spécialiste de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire : «La rébellion a eu – dès le début- des liens avec Ouattara et sa femme Dominique. Il ne faut pas oublier non plus que la plupart des chefs de guerre – dont une partie reste très proche de Ouattara – ont organisé des trafics durant toutes ces années de guerre. L’immense majorité des fruits de ce trafic partait vers une caisse qui alimentait la rébellion, permettant son financement, tout en enrichissant les chefs de la rébellion, Wattao, Guillaume Soro, etc. Tous ces trafics existaient déjà pendant toutes ces années de crise. Au final, on retrouve aujourd’hui des liens évidents entre l’armée – essentiellement composée d’anciens rebelles – et ces milices… Des liens perdurent, évidemment.»
Sur ces liens entre les anciens rebelles et l’armée, notre enquêteur a demandé en vain une entrevue au ministère de la Défense ivoirien : par courrier, puis en téléphonant directement à Paul Koffi Koffi, le ministre auprès du président de la République chargé de la Défense. Ce dernier, après avoir demandé l’objet et le thème du reportage, a fait la réponse suivante : «Je vais en parler à mon patron». Son patron ? Le chef des armées, c’est-à-dire le président Alassane Ouattara. Et depuis, malgré les relances, aucune réponse…